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Produits chimiques : le danger insidieux

SÉCURITÉ | par Guénolé Carré | 31 Août 2021

En Europe, ce sont plus de 100 000 substances chimiques qui sont couramment utilisées dans l’économie. Pourtant, certaines d’entre elles peuvent présenter un risque important pour les personnes ou les environnements. Afin de réduire ces risques, c’est tout un panel réglementaire qui se déploie à l’échelle européenne. Un arsenal en constante évolution.

Le 8 juillet dernier, l’agence européenne des produits chimiques (ECHA) rajoutait 8 nouvelles molécules à sa liste des « substances extrêmement préoccupantes » (SVHC). Désormais fort de 219 références, ce tableau recense les molécules industrielles présentant un risque pour la santé humaine ou l'environnement en vue de restreindre leur utilisation. Incluse au sein du règlement européen pour l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques (REACH), cette classification – ainsi que de nombreuses autres dispositions légales – témoigne d’une réelle volonté de réduction des risques chimiques à échelle européenne.

Il faut dire qu’avec plus de 100 000 substances utilisées sur le territoire de l’union, une stratégie forte de contrôle et d’évaluation des risques représente un outil indispensable pour la sécurité de tous.

Compte tenu de la grande diversité de substances qui y sont employées, le monde du laboratoire est aujourd’hui l’un des premiers à être touché par ces réglementations. Potentiellement exposés – parfois de manière chronique – à des substances nocives, il est en effet indispensable pour les personnels de disposer d’informations au sujet des matières sur lesquelles ils travaillent ainsi que sur les mesures de sécurité appropriées lors de leur utilisation.

« Personne ne regarde l'étiquette » c’est le constat que dresse Sandrine Andrés, toxicologue à l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris).

Créé en 1990 et issu de l’ancien centre d’études et de recherche des charbonnages de France et de l’institut de recherche en chimie appliquée (IRCHA), cet établissement public déploie son expertise dans de nombreux domaines de la prévention du risque industriel et notamment chimiques (explosion, effets sur la santé humaine, pollution des milieux). En France, cet institut est un acteur majeur de la caractérisation des produits chimiques et leurs effets sur les personnes et l’environnement.

Cette étiquette dont il est question, toutes les substances chimiques disponibles sur le marché européen en possèdent. Quoique bien connues du public à cause des pictogrammes de danger qui y figurent, ces dernières apportent en réalité bien plus de renseignements que cette simple information. Fixées par le règlement européen sur la classification, l’étiquetage et l’emballage (CLP), ces bordereaux indiquent notamment les équipements de sécurité à utiliser pour manipuler le produit, les consignes à suivre pour son stockage ainsi que la conduite à tenir en cas de dispersion ou d’exposition.

Si l’étiquetage est une chose essentielle, encore faut-il avoir évalué au préalable la dangerosité des substances et contrôler le cas échéant leur diffusion et leur utilisation. Sur le plan légal, c’est la mission qui incombe au règlement REACH qui se déploie aux côtés du règlement CLP. Depuis, 2007, celle-ci impose un certain nombre de règles en vue de parvenir à une meilleure connaissance des matières utilisées sur le territoire européen ainsi que des procédures d’autorisation pour les plus problématiques d’entre-elles. Reposant sur le principe du « pas de données, pas de marché », le règlement impose notamment aux fabricants et importateurs de produits chimiques de déclarer leurs produits à l’agence européenne des produits chimiques (ECHA) si le volume importé ou produit annuellement dépasse la tonne. Par ses dispositions, le règlement REACH a pour but d’inciter les industriels à innover afin de trouver des produits de substitution inoffensifs à intégrer à leurs process.

En plus de se concentrer sur la dangerosité des substances, l’information et l’assistance aux entreprises fait également partie des missions de l’Ineris. En effet, la nature parfois complexe de la réglementation européenne rend parfois difficile leur utilisation par des sociétés ne disposant pas toujours d’un service dédié à ces questions. L’Ineris propose donc à cet effet trois helpdesks en ligne ainsi qu’une ligne téléphonique afin d’apporter des renseignements sur les dispositions des règlements CLP et REACH ainsi que sur les règles relatives aux polluants organiques persistants (POP). Par un travail de veille, ces portails permettent également de se tenir au courant des dernières évolutions de ces réglementations.

Aussi complètes soient-elles, la législation européenne concernant la réglementation des substances chimiques n’en est pas pour autant immuable. Dans les prochaines années, c’est même un profond remaniement qui devrait s’opérer dans ce domaine. Dans le cadre de Green Deal européen – qui n’est rien moins que l’un des plus vastes changements de politique à l’échelle de l’union depuis sa création – c’est toute la stratégie environnementale de l’institution qui devrait être revue. Dans le cadre de ce processus, la réglementation sur les substances chimiques ne devrait pas échapper à la révision. En ligne de mire, une meilleure prise en compte des effets de certaines substances comme la neurotoxicité ou les perturbateurs endocriniens. Les mélanges de plusieurs composés – jusque-là non pris en compte par REACH – devraient également être surveillés. En effet, les associations entre produits et leurs conséquences en matière de toxicité ne sont encore que peu connues. Enfin, d’un point de vue administratif, la révision du règlement REACH devrait aller dans le sens d’une meilleure transmission de l’information au sein de la chaine d’approvisionnement ; du producteur jusqu’au consommateur.

Il n’y a pas que la réglementation qui évolue. À l’Ineris, on cherche aussi à s’adapter et accompagner les changements qui traversent la société civile. Selon Sandrine Andrés, il y aurait au sein du grand public une réelle prise de conscience de la toxicité des certaines substances. Que ce soit au niveau des pesticides ou des éléments contenus dans certains plastiques alimentaires, ce sont des citoyens plus concernés et surtout plus renseignés auxquels on aurait affaire.  « On a un public qui devient expert » résume elle.

Pour répondre à ces nouveaux enjeux, l’Ineris porte depuis plusieurs années une volonté « d’ouverture à la société ». Dans ce but, l’institut a notamment contribué au développement d’une application de scan pour smartphones. Téléchargeable gratuitement, « Scan4Chem » permet via les codes-barres des produits du commerce de savoir si ces derniers contiennent les substances classées comme « extrêmement préoccupantes », les fameuses SVHC.

Dans la mise en place de pratiques plus responsables, l’Ineris a également introduit une réflexion sur le sujet de l’expérimentation animale. Dans cette optique, elle applique principe des 3R (Reduce, Replace, Refine). Il s’agit de trouver tant que possible des substituts au modèle animal (Replace), de réduire le nombre d’individus utilisés (Reduce) et de prendre en compte le bien-être des animaux tant dans leurs conditions de vie qu’en minimisant les souffrances lors des expériences (Refine).

Dans un contexte marqué tant par le changement climatique que par la prise de conscience toujours croissante des dégâts causés par l’humain sur les milieux et sur sa propre santé, l’Ineris a fait le choix d’accompagner les transformations qui agitent notre société. À l’instar de nombreux centres de recherche, cet engagement vers des pratiques plus responsables est à n’en point douter, l’un des grands challenges qui attendent le monde industriel ainsi que celui de la recherche dans les années qui viennent. 

 

Par Guénolé CARRÉ

Sources :

1 – Interview de Sandrine Andrès : toxicologue et écotoxicologue à l’INERIS

2 – Trois helpdesk de l’INERIS :
https://reach-info.ineris.fr/
https://clp-info.ineris.fr/
https://pop-info.ineris.fr/

3 – European Green Deal: Impact assessments of the REACH and CLP Regulations revisions : https://resources.selerant.com/ehs-blog-en/european-green-deal-impact-assessments-of-the-reach-and-clp-regulations-revisions  

4 - Un pacte vert pour l'Europe (site de la comission européenne) : https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr

5 – Site web de l’INERIS : https://www.ineris.fr/fr

6 – Site web de l’ECHA : https://echa.europa.eu/fr/home

7 – « 1 Le règlement européen CLP » (vidéo) : https://www.youtube.com/watch?v=LnKJKPidC5s