25 - 26 - 27 mars 2025
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Entre science et conscience : le défi éthique de la recherche

PRATIQUES PLUS RESPONSABLES | par Guénolé Carré | 14 Septembre 2021

Climat, édition génétique, produits nocifs : aujourd’hui comme hier, le chemin du progrès scientifique a toujours été jalonné d’une multitude de problèmes d’ordre éthique. Compte tenu des conséquences sans cesse plus importantes d’un développement irréfléchi des techniques, ces questions s’imposent aujourd’hui à la société à une échelle inédite. À l’heure du changement climatique et de la croissance verte, une vaste réflexion autour de ces sujets sera cependant une condition essentielle à la mise en place d’une économie plus responsable et durable. 

Il sera le plus grand changement des politiques européennes depuis la création de l’union, représenter un profond bouleversement pour l’industrie et la recherche à l’échelle d’un continent entier. Pensé comme une réponse globale à l’urgence climatique, le « Green Deal européen » devrait dans les prochaines années modifier en profondeur une grande partie des réglementations européennes en matière d’environnement tout en guidant l’économie du continent sur le chemin d’une croissance durable. Rendre l’Europe neutre en carbone d’ici 2050, réduire l’usage de substances potentiellement nocives dans l’industrie, développer l’économie circulaire par la généralisation du recyclage et de la réutilisation : ce ne sont là que certains angles de l’ambitieux pari fait par la présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen. Pour arriver à cet objectif, c’est un important effort de recherche et de développement qui devra être entrepris par les États membres.

Au-delà de cet exemple, de nombreux autres signes témoignent de la prise en compte croissante des questions environnementales et plus généralement d’éthique au sein du monde de l’industrie et de la recherche. Il faut dire qu’avec les conséquences sans cesse plus concrètes de l’impact de l’homme sur l’environnement ainsi que l’émergence de technologies nouvelles aux potentialités sans précédent, notre époque apporte un grand questionnement quant à nos buts et les moyens d’y parvenir.

2 millions d’animaux de laboratoire en France

Quand on parle d’éthique dans la recherche, on pense souvent de prime abord à l’expérimentation animale. Il est vrai qu’avec près de 2 millions d’animaux (vertébrés et céphalopodes) utilisés en 2019 (principalement des souris), la France – sans être le premier État européen à avoir recours à cette pratique – en est un important utilisateur. Encore à la traine par rapport à son voisin allemand, certaines évolutions légales survenues ces dernières années laisseraient pourtant entrevoir une meilleure prise en compte du bien-être animal dans la recherche scientifique. Reconnus par la loi depuis 2015 comme des « êtres sensibles », la France applique la réglementation européenne en la matière. Cette dernière préconise notamment le recours à la pratique des 3R dans la conduite d’expérimentations animales. Ce principe consiste à trouver tant que possible des substituts au modèle animal par la mise en place de protocoles in-vitro ou in-silico viables (Replace), de réduire le nombre d’individus utilisés lors des expériences (Reduce) et de prendre en compte le bien-être des animaux tant dans leurs conditions de vie qu’en minimisant les souffrances lors des expériences (Refine).

Pour veiller sur l’application de ce principe et plus généralement aux bonnes conditions de vie des animaux de laboratoire, tous les sites abritant ou faisant usage d’animaux à des fins scientifiques doivent depuis 2013 posséder une « structure de bien-être animal ». Soumises à un certain nombre d’obligations minimales exigées par la loi, ces structures pluridisciplinaires travaillent notamment en plus de l’application de la règle des 3R au suivi et au contrôle des conditions de vie des animaux hébergés. Ces dernières disposent également d’un rôle de conseil à l’usage des équipes en contact avec les animaux.

Si l’expérimentation animale est un axe important sur le chemin d’une recherche plus éthique, cette problématique n’en est pas moins incluse dans le cadre plus large de la question bioéthique. En effet, au fur et à mesure des progrès dans la compréhension du vivant au niveau moléculaire, cette question s’est imposée depuis la fin des années 1990 comme un point d’attention majeur quant à l’éthique dans la recherche. L’introduction à partir de 2012 de la technique d’édition du génome Crispr-Cas9 – qui facilite grandement les manipulations génétiques – n’a fait que rendre plus urgente une réflexion à ce sujet.

En 2019, le comité consultatif d’éthique commun à l’INRAE [1] à l’IFREMER [2] et au CIRAD [3] rendait un avis concernant les modifications génétiques appliquées aux animaux. Le document s’appliquait tant à l’édition génétique pour les animaux d’élevage qu’aux modifications appliquées à des populations sauvages par l’introduction d’individus génétiquement modifiés dans celle-ci. Tout en rappelant l’intérêt des techniques d’édition génétique, le comité préconisait une utilisation pragmatique de ces techniques par la mise en place d’un questionnement au cas par cas quant à l’intérêt de la manipulation. Dans le cas des modifications de lignées d’animaux (particulièrement de populations sauvages), le comité rappelait également le caractère définitif de la pratique et de ce fait, la nécessité d’informer et d’intégrer le grand le public au débat en lui fournissant de manière transparente toutes les informations nécessaires à la compréhension de la problématique.

Des plantes pour dépolluer les friches industrielles

En s’éloignant un peu de ces sujets de fond, force est de constater que la mise en place de pratiques plus responsables dans la recherche et l’industrie ne se résume plus aujourd’hui à une simple réflexion sur la manière de travailler. Tournée vers des solutions durables, la mise en place d’une économie plus soucieuse de l’environnement pourrait même représenter un important booster pour l’innovation. Exemple évocateur de cette dynamique, on pourrait notamment citer le programme « Biobutterfly » impulsé par la société Michelin. Celui-ci a permis d’utiliser des déchets végétaux issus de l’agriculture pour la production de pneus, évitant ainsi d’avoir recours aux hydrocarbures. Sur les friches industrielles polluées, la recherche a également démontré la remarquable capacité de certains végétaux à accumuler les métaux. En plus viabiliser des terres qui seraient sinon restées stériles pour parfois plusieurs siècles, l’extraction de certains métaux stratégies comme du platine, rhodium ou le palladium intéresse de près l’industrie chimique dans laquelle ils servent de catalyseur.  

Plus que jamais, le progrès technologique nous fait nous interroger sur le devenir de la recherche et sur les directions qu’elle emprunte. Composante intégrante de la société, le monde scientifique est également aux avant-postes pour accompagner cette dernière vers un avenir plus durable. Cet avenir, ce sera aussi celui des nouvelles générations de chercheurs et de techniciens qui sortent chaque année des établissements d’enseignement supérieur. Signe d’un changement de mentalité, les questions d’ordre éthique et de finalité de la recherche seraient – d’après certains analystes – largement présentes chez eux. Travailler dans une entreprise en accord avec leurs valeurs représenterait d’ailleurs pour ces derniers un critère important dans leurs choix de carrière.

Arrivant sur un marché de l’emploi secoué par la crise du COVID-19 et les changements d’organisation qu’elle a précipitée, ces nouvelles générations de scientifiques seront parties prenantes des transformations de la profession. Désireux de faire leurs preuves au milieu de ce monde changeant, ces jeunes diplômés seront exposés tant à des difficultés nouvelles qu’à des opportunités inédites. 

Abréviations :
[1] Institut national de la recherche agronomique
[2] Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer
[3] Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

Sources :

1 – 12ème avis du comité d’éthique commun INRAE-CIRAD-IFREMER (2019): https://www.academie-agriculture.fr/sites/default/files/agenda/comite-ethique-inra-cirad-ifremer2019avis-edition-genome-animal.pdf

2 – « Présentation de la recommandation actuelle » du Think thank « RH » : https://event.lesechosleparisien.fr/think-tank-rh/content/live

3 – « Utilisation des animaux à des fins scientifiques dans les établissements français » Ministère de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation (2019) : https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/utilisation_des_animaux_fins_scientifiques/85/8/STAT_2019_1371858.pdf

4 – « Principes d'INRAE en matière d’utilisation d'animaux à des fins scientifiques » : Document PDF

5 – « Charte nationale portant sur l’éthique de l’expérimentation animale » Ministère de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation (2014) : https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Encadrement_des_pratiques_de_recherche/57/9/Charte_nationale_portant_sur_l_ethique_de_l_experimentation_animale_243579.pdf

6 – « La Chimie Verte peut-elle sauver la planète bleue ? » Présentation de Tony Cousin (2020) https://www.youtube.com/watch?v=-DucwnUXXng

7 – « Un pacte vert pour l'Europe » Site web de la commission européenne : https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal_fr