25 - 26 - 27 mars 2025
Porte de Versailles - Hall 4

Le projet MAP Kinases avance à Grenoble !

METIER | par Maryvonne Haslé de La Gazette du Laboratoire | Avril 2024

Dans un article publié dans Science, des chercheurs de l'EMBL Grenoble (Laboratoire européen de biologie moléculaire) et de l'Université de Genève (UNIGE) ont mieux compris comment la MAP kinase p38α, l'interrupteur final régulant l'inflammation, est activée par une autre protéine kinase régulatrice – MKK6 – ouvrant de nouvelles voies pour développer des médicaments destinés à arrêter les tempêtes de cytokines.

 

L'inflammation est une réponse normale de nos cellules pour lutter contre le stress et tuer un virus ou un parasite malvenu, mais une surabondance lors d'une infection peut conduire à une « tempête de cytokines » pouvant mettre la vie en danger, comme cela a été le cas chez certains patients lors de la pandémie Covid.

La réponse inflammatoire est initiée par une cascade de kinases, comme une série d'interrupteurs successifs. Ces enzymes ont été largement étudiées, mais leurs interactions sont mal connues, ce qui rend difficile le développement de médicaments efficaces pour les cibler.

Les recherches publiées sont menées par Pauline Juyoux et Matthew Bowler de l’équipe Synchrotron. Cette équipe travaille sur le fonctionnement, l’amélioration et l’automatisation des lignes de lumière MX et bioSAXS à l’ESRF. Elle étudie également les protéines impliquées dans la signalisation et le développement neuronal.

 

Un chercheur passionné par les kinases

Matthew Bowler a commencé sa carrière de scientifique par sa thèse sur la production d’ATP (Adénosine triphosphate), à Cambridge (Angleterre), sous la direction de John Ernest Walker, prix Nobel de Chimie (1997). Il a ensuite travaillé sur différents types de kinases, puis étudié, à partir de 2009, la voie de signalisation, très importante dans de nombreuses maladies. Avec son étudiante doctorante de l’époque, Erika Pellegrini, il a étudié, avec la collaboration du synchrotron de Grenoble les interactions entre p38α (appartenant à la famille des protéines kinases activées par les mitogènes -MAPK) et MKK6 – la kinase qui l'active.

Mais étudier les interactions entre kinases s'avère extrêmement complexe. « Ces enzymes sont des molécules très dynamiques, qui transmettent des signaux importants et doivent agir rapidement. Pour sa part, p38α doit pénétrer dans le noyau et activer de nombreuses autres protéines différentes », a déclaré Bowler.

Les deux chercheurs ont effectué une première publication scientifique à l’époque sur les voies de signalisation. Matthew Bowler a intégré l’EMBL en y apportant son projet de recherche, tout en étant responsable d’une ligne de lumière (rayons X issus de l’anneau de lumière du Synchrotron de Grenoble) pour étudier les structures des protéines.

Ce groupe d'enzymes joue un rôle important dans la régulation de processus complexes dans la cellule en agissant comme un « commutateur » pour transmettre des signaux et activer l'expression des gènes. Les kinases agissent par phosphorylation – en ajoutant un groupe chimique, le phosphate, à d’autres molécules pour moduler leur fonction. Les travaux de Matthew Bowler se concentrent particulièrement sur les MAP kinases, acteurs clés impliqués dans la réponse inflammatoire notamment dans le cancer, en immunologie mais aussi dans l’arthrose.

 

Matthew Bowler avec, de gauche à droite : Jill von Velsen (doctorante EMBL), Erika Pellegrini (ex-doctorante EMBL et co-correspondante pour la publication, maintenant chercheuse à l’IBS), et Pauline Juyoux (ex-doctorante EMBL et auteur de la publication, maintenant postdoctorante à l’IBS) - © Franck Felisaz/EMBL

 

Une kinase « interrupteur » qui module la réponse inflammatoire

L'inflammation est activée via une série de kinases, qui s'activent les unes les autres dans une cascade de réactions, la dernière kinase de la série étant responsable de l'activation de la transcription génique nécessaire à l'inflammation. Ce processus libère des cytokines, des molécules de signalisation pro-inflammatoires, qui, en cas de suractivation, peuvent conduire à des tempêtes de cytokines.

La dernière étape est celle de la MAP kinase p38α. En étant activée, elle entre dans le noyau et peut moduler l’extraction des gènes associés à l’inflammation. En la modulant, l’inflammation s’éteint ou au contraire s’active. Pour bien comprendre son fonctionnement, Matthew Bowler a donc mené des recherches fondamentales sur la kinase p38α et son activation par MKK6.

Les protéines kinases, dont p38α, ont été largement étudiées depuis 30 ans, époque où la première structure de protéine kinase a été résolue. Depuis, plus de 7 000 structures sont disponibles dans la banque de données sur les protéines. Beaucoup d’entreprises pharmaceutiques ont travaillé sur des médicaments, ciblant principalement le site de liaison aux nucléotides des kinases – une poche commune et bien connue présente dans toutes les kinases, où se produit le transfert de phosphate. Cependant, en raison de ce site de liaison commun à toutes les kinases, un médicament conçu pour empêcher une kinase de signaler pourrait également en arrêter d’autres - un manque de spécificité problématique, compte tenu du rôle essentiel des kinases en tant que régulateurs clés des processus cellulaires.

Les développements récents en microscopie cryoélectronique (cryo-EM), notamment au cours de la dernière décennie, ont suscité de nouveaux espoirs. En 2016, Matthew Bowler, secondé par sa nouvelle doctorante (biochimie et biologie structurale) et première auteure de l’article paru en septembre dernier, Pauline Juyoux, ont décidé de passer à cette technique – même si le complexe protéique était à l’époque considéré comme trop petit pour l’analyse cryo-EM.

La ténacité et la collaboration ont été des facteurs clés de la réussite du projet.  « Nous avons obtenu le premier modèle de coloration négative 3D basse résolution exactement le jour même de l'annonce du prix Nobel pour la cryo-EM en 2017. Cela a suscité chez nous un regain de motivation ! », se souvient Pauline Juyoux.

En utilisant la cryo-EM et des techniques complémentaires, telles que la cristallographie des rayons X et la diffusion des rayons X aux petits angles (SAXS), à l’ESRF et au Diamond Light Source, l'équipe a réussi à obtenir la structure 3D du complexe et à identifier un site d'accueil jusqu'alors inconnu où les deux enzymes interagissent – une information cruciale pour comprendre comment p38α est activée. Ce résultat est aussi le fruit d’une collaboration avec le laboratoire du Pr Francesco Luigi Gervasio de l'UNIGE, spécialiste des simulations de dynamique moléculaire, qui a permis aux chercheurs de l’EMBL de mieux comprendre la façon dont les deux kinases interagissent. « Nos collègues de l’UNIGE ont montré que le modèle que nous avions généré était compatible avec l'activité enzymatique et que le site de phosphorylation était à bonne distance du site actif », explique Pauline Juyoux. « Ils ont également classé les différents types de conformations du complexe pour montrer comment ils s'assemblent ». Et surtout, en comparant ces simulations avec les données SAXS, les scientifiques ont pu modéliser la façon dont les deux protéines interagissent avant la catalyse. 

« La combinaison des simulations de pointe avec les données SAXS et cryo-EM grâce à des approches statistiques avancées nous permet de « voir » la danse des deux kinases se rapprochant l'une de l'autre, tout en sachant que ce que nous voyons sur ordinateur est entièrement soutenu par toutes les données expérimentales disponibles », a expliqué Francesco Gervasio. « Les simulations ont nécessité plusieurs mois de temps de calcul, généreusement alloué par le Centre national suisse de calcul scientifique », poursuit-il. « Mais cela en valait la peine, compte tenu de la pertinence des résultats finaux ! ».

 

De gauche à droite : Jill von Velsen , Erika Pellegrini, Pauline Juyoux et Matthew Bowler - © Franck Felisaz/EMBL

 

De nouvelles voies à explorer

Ces résultats fournissent un site cible alternatif à explorer pour de futurs médicaments et ouvrent également la porte à l’étude de processus similaires dans deux autres familles de MAP kinases : les kinases ERK – impliquées dans le cancer – et les kinases JNK – également impliquées dans l’inflammation, notamment dans la maladie d’Alzheimer.

« Les kinases sont très similaires les unes aux autres en termes de séquence et de structure, mais nous ne savons pas encore comment et pourquoi elles répondent ou envoient un signal spécifique », ajoute Pauline Juyoux, dont le projet de recherche actuel en tant que postdoctorante à l'Institut de Biologie Structurale de Grenoble se concentre sur les kinases JNK. « Comparer ces différentes familles de kinases pourrait permettre d’expliquer la spécificité des interactions et ouvrir la voie à de nouvelles approches thérapeutiques. ».

Au sein de l’EMBL, Matthew Bowler et Pauline Juyoux disposent de leur propre laboratoire d’une trentaine de m2 avec le microscope à électrons et d’autres équipements pour la purification des protéines, la chromatographie pour la caractérisation biophysique des protéines, l’imagerie avec des rayons X en lien avec le synchrotron.

Un travail collaboratif avec un collègue de l’IAB à Grenoble, Mohamed-Ali Hakimi leur a permis d’identifier un possible nouveau médicament ciblant les kinases pour la toxoplasmose. Rappelons que cette maladie générée par un parasite peut être responsable de complications chez le fœtus de la femme enceinte et les personnes fragiles. Par ailleurs, un parasite de la même famille est également un agent positif de la malaria (ou paludisme). Les chercheurs ont d’ailleurs étudié la structure d’une kinase en 3D dans l’optique de trouver un antiparasitaire (Publication dans Science Translational Medicine en août 2022. Une nouvelle publication sur la suite de ces recherches est prévue courant 2024).

Pour l’avenir, de nombreuses pistes restent à explorer côté kinases pour Matthew Bowler et Pauline Juyoux. La microscopie électronique, ainsi que les rayons X vont leur permettre de progresser encore dans leurs recherches. Les études menées sur les kinases ERK et JNK ouvrent de nouvelles voies de compréhension du rôle des kinases dans le cancer, pour trouver à terme de nouvelles voies de traitement. 

Référence :

Science, 14 Sep 2023, 381(6663):1217-1225

https://doi.org/10.1126/science.add7859

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Pour en savoir plus :  www.embl.org