25 - 26 - 27 mars 2025
Porte de Versailles - Hall 4

De nouvelles pistes thérapeutiques contre le cancer colorectal métastatique !

VALORISATION | par Alicia Dussol de La Gazette du Laboratoire | Février 2024

La découverte de l'équipe du Centre de recherches en cancérologie de Toulouse (CRCT) sur le rôle des lymphocytes activés localement dans les tumeurs du colon a ouvert de nouvelles perspectives dans le domaine de l'immunothérapie en oncologie. En effet, les recherches mettent en évidence l'importance de ces lymphocytes dans la réponse immunitaire antitumorale dans le cancer colorectal métastatique et leur influence positive sur le contrôle du développement des métastases. Cette découverte offre de nouvelles possibilités pour développer des approches thérapeutiques ciblées et renforcer l'immunité des patients atteints de cancer colorectal.

En 2018, le Dr Christel Devaud, chercheuse en immunologie et cancérologie, a rejoint l'équipe du Pr Maha Ayyoub (enseignante-chercheuse et vice-présidente du conseil d’administration de l’Université Toulouse III) et du Pr Jean-Pierre Delord (directeur général de l'Institut universitaire du cancer de Toulouse Oncopole (IUCT-O)) au CRCT/IUCT-O pour contribuer à leurs travaux de recherche. Cette équipe se focalise sur l'exploration de l'immunologie tumorale, cherchant à comprendre les réponses immunitaires qui se produisent au sein des tumeurs et comment les exploiter pour le traitement des patients. Leur objectif principal est de développer des immunothérapies innovantes qui exploitent le potentiel du système immunitaire pour lutter contre le cancer. Les recherches visent à améliorer les stratégies de traitement existantes et à ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques pour les patients atteints de cancer.

Modélisation innovante pour étudier les cancers métastatiques

Avant de rejoindre le CRCT, durant ses années de recherche en thèse et en post-doctorat, Dr Christel Devaud a constaté que la modélisation du cancer humain, classiquement utilisée chez les souris, à savoir l’implantation de cellules tumorales sous la peau des souris, ne reproduisait pas fidèlement l'immunité tumorale observée chez les patients. Elle a développé des recherches, notamment au centre Peter MacCallum, en Australie, où elle a mis en évidence que l'immunité stimulée chez les souris, quand des tumeurs de toute origine étaient injectées sous la peau, était liée à la peau elle-même, tandis que chez les patients, elle était spécifique de l'endroit où la tumeur se développait (1). Par exemple, pour une tumeur colorectale, l'immunité associée est spécifique de l’organe colon. Cette observation a conduit à la mise en place de modélisations du cancer plus précises chez la souris, en implantant les tumeurs directement dans l’organe spécifique que l'on souhaite étudier, par des techniques de microchirurgie. Cela permet ainsi d'étudier la tumeur et son immunité associée de manière plus représentative du patient.

Dans un cancer colorectal, dans la plupart des cas, les tumeurs localisées au niveau du colon peuvent être réséquées, c’est-à-dire enlevées chirurgicalement, ou traitées thérapeutiquement. En revanche, les métastases, c'est-à-dire des tumeurs localisées ailleurs dans l’organisme, lorsque le cancer colorectal s'est propagé à d'autres sites, sont particulièrement résistantes aux traitements, y compris aux immunothérapies. Les métastases hépatiques, qui sont les plus fréquentes dans le cancer colorectal métastatique, sont difficiles à traiter.

Dans ce contexte, le Dr Christel Devaud a développé un modèle de cancer colorectal métastatique en implantant des cellules tumorales à la fois dans le côlon et dans d'autres sites, notamment le foie. Une particularité de ce modèle est que les cellules tumorales implantées sont génétiquement modifiées pour exprimer un marqueur bioluminescent, ce qui permet de les détecter à l'aide de capteurs spécifiques. Cette approche novatrice permet une étude plus précise des interactions entre les tumeurs colorectales métastatiques et le système immunitaire.

De gauche à droite : Pr Maha Ayyoub, co-directrice du laboratoire "Immunologie Anti-Tumorale et Immunothérapie" au Centre de Recherches en Cancérologie de Toulouse (CRCT)/ Institut Universitaire du Cancer de Toulouse-Oncopole (IUCT-O), Dr Christel Devaud, chercheuse en Onco-Immunologie, a initié et dirigé l'étude et Mme Virginie Feliu, Ingénieure, a effectué la majorité des expérimentations décrites dans l'article - © Christel Devaud

Premiers résultats : des lymphocytes intestinaux retrouvés dans le foie

Une fois le modèle établi, de nombreuses analyses à grande échelle ont été réalisées, grâce à l'implication de différents membres de l'équipe. Virginie Feliu, ingénieur de l’équipe, a réalisé la plupart des expériences.  Des cliniciens ont aussi été impliqués, tel que le Dr Carlos Gomez-Roca, qui a permis de constituer des cohortes de patients atteints de cancer colorectaux.

Ces analyses ont abouti à des résultats surprenants. En effet, en observant l'intestin, il a été remarqué qu'en présence d'une tumeur, une population spécifique de lymphocytes T CD8 anti-tumoraux était stimulée pour être active contre les tumeurs. De plus, ces lymphocytes T, normalement uniquement localisés au niveau intestinal, ont été retrouvés dans des tumeurs de foie, notamment grâce à des techniques de séquençage haut débit et d'autres analyses approfondies. Dans le foie, il a été constaté que les lymphocytes T CD8 anti-tumoraux présentaient un marqueur spécifique de l'intestin, l'intégrine alpha 4 beta 7, qui est exprimée à la surface des lymphocytes intestinaux et dont le ligand se trouve uniquement dans l'intestin. Il est donc surprenant de les retrouver infiltrés dans des tumeurs non-intestinales, dont les métastases à distance.

En approfondissant les recherches, l’équipe a découvert que l'intestin est capable de générer une immunité antitumorale efficace et de la transmettre à d'autres parties du corps, telles que le foie, en fonction de l'endroit où les métastases sont implantées. Les mécanismes précis de ce processus restent à explorer.

Partenaires et nouvelles pistes thérapeutiques en perspectives

Cette découverte a été publiée, le 8 juin dernier, dans la prestigieuse revue Science Immunology (2) et son importance mise en lumière, le même jour, dans une perspective publiée dans la revue Science (3).

L'équipe du CRCT est sous la tutelle du CNRS, de l'Inserm, de l'Université de Toulouse et est intégrée dans l'IUCT- O, ce qui favorise une forte interaction entre les chercheurs et les équipes cliniques, un aspect essentiel pour progresser dans ce domaine de recherche. En plus de ces soutiens institutionnels, l'équipe bénéficie également du soutien financier de partenaires privés tels que Amgen France, ainsi que de fonds de donateurs comme la Fondation Toulouse Cancer Santé, le labex Toucan et la Ligue régionale contre le cancer.

L'équipe espère continuer à être soutenue par ces organismes afin de poursuivre son projet et comprendre les mécanismes de circulation des lymphocytes TCD8 anti-tumoraux dans le corps, ainsi que les facteurs qui permettent leur stimulation et leur mobilisation. Il est important sur le plan fondamental de comprendre ce qui se passe dans l'intestin et qui diffère du reste du corps. L’équipe a observé que l'effet anti-métastases du colon se déclenche lorsque la tumeur primitive est implantée spécifiquement dans l'intestin, ce qui suggère l'implication de certains facteurs, comme par exemple, le microbiote, qui polariserait l'immunité en faveur du rejet des tumeurs. Cette piste est actuellement étudiée.

Une autre dimension essentielle consiste à exploiter cette découverte pour développer des approches thérapeutiques. Étant donné que les lymphocytes T CD8 anti-tumoraux intestinaux circulent dans le corps, ils peuvent être détectés en tant que biomarqueurs sanguins. Cela permet de distinguer les patients possédant ou non des proportions augmentées de ces lymphocytes T CD8 anti-tumoraux intestinaux, aidant au contrôle des métastases. Cette information est cruciale, car des observations préliminaires montrent que les patients, qui ne possèdent pas ce biomarqueur (lymphocytes T CD8 anti-tumoraux intestinaux circulants), sont ceux qui ne répondent pas aux traitements d'immunothérapie. Ainsi, en recherchant les lymphocytes T CD8 anti-tumoraux intestinaux dans le sang, on peut prévoir si l'immunothérapie sera efficace ou non et éviter d'administrer un traitement lourd aux patients potentiellement non répondeurs à l’immunothérapie. Pour ces patients, l'équipe cherche à restaurer une immunité favorisant l’élimination des tumeurs, en développant un vaccin qui cible spécifiquement la stimulation des lymphocytes T CD8 de l'intestin, compte tenu de leur potentielle efficacité anti-tumorale supérieure. L'objectif est de rétablir ces biomarqueurs afin qu’ils puissent exercer leur action antitumorale, à la fois dans l'intestin et dans le reste du corps.

Ainsi, en se basant sur l’action des lymphocytes T CD8 anti-tumoraux intestinaux, l’équipe du CRCT pourrait ultérieurement mettre au point des thérapies efficaces et des vaccins pour lutter contre le cancer colorectal métastatique, et éventuellement contre d’autres formes de cancers.

(1)Devaud et al, Molecular Therapy, 2014, Jan; 22(1):18-27

(2)Feliu et al, Science Immunology, 2023 Jun 2;8(84):eadg8841

(3)Pratt et al, Science, 2023 Jun 9;380(6649):1011-1012

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